Strate école de design a accueilli il y a quelques semaines Emna Kamoun, elle intègre le département recherche de l’école en tant que chercheuse à Strate Research. Découvrez une interview qu’elle nous a accordé.
Petit portrait de Emna Kamoun
« Après un parcours de formation en design avec une spécialisation en scénographie à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design (ESSTED) à Tunis, ma pratique professionnelle en parallèle avec ma recherche en Master au sein de la même école, ont souvent été motivées par un intérêt pour la narration produite par et à propos du design.
Ensuite, puisant dans les outils théoriques et méthodologiques des sciences de l’information et de la communication et de la sémiotique, ma recherche doctorale dans l’équipe d’accueil MICA de l’Université Bordeaux Montaigne, s’est focalisée sur la construction de la signification du design et par le design dans un contexte évènementiel d’exposition.
C’est ainsi qu’avec une posture interdisciplinaire revendiquée, je projette de poursuivre la recherche en design, avec Strate Research en observant, dans d’autres contextes, la manière avec laquelle il se raconte et comment cette narrativité contribue à sa définition en tant que discipline. »
Interview
- Parle-nous de ton parcours en design
Mon parcours en design est jalonné de rencontres qui m’ont, soit fait découvrir un nouveau monde, soit confirmé une passion que je nourrissais. J’ai toujours été attirée par le monde de l’art et du spectacle, et ma première rencontre avec le design s’est faite par le biais de la scénographie, en tant que membre d’un club de théâtre. J’étais fascinée par la portée narrative de la relation espace-corps-objet. L’école de design de Tunis avait à peine ouvert au moment où j’obtenais mon baccalauréat. Elle proposait un format de diplôme sur cinq ans, qui était inédit en Tunisie, hormis dans les écoles d’ingénieur. C’était parfait pour moi ! Je pouvais laisser place à mes passions tout en ne renonçant pas à ce que j’ai pu apprendre avec le bac technique. Et ce fut le cas ! Les deux premières années d’exploration des techniques et des champs du design m’ont permis de confirmer que j’avais fait le bon choix. J’ai donc choisi de me spécialiser en design espace et spécifiquement en scénographie. J’ai pu expérimenter des projets à la télévision, au théâtre, au cinéma mais j’ai aussi exploré la scénographie commerciale.
Quelques mois après mon diplôme, dans une Tunisie post-révolution où j’ai expérimenté le statut de free-lance, j’ai intégré, en parallèle, le Master recherche de mon école, et le bureau d’étude d’une entreprise qui représentait plusieurs maisons italiennes de mobilier de luxe et qui s’occupait des projets d’aménagement pour leur compte. Cette expérience de la réalité du marché et de la relation aux clients m’a poussée à me questionner à propos du statut et des missions d’un designer, dans un contexte culturel et économique précis. La notion de récit continuait à prendre du sens dans le travail d’un designer pour moi : je voyais l’aménagement autant comme une séquentialisation de l’usage (au sens cinématographique), que ce soit pour habiter, travailler ou tout autre activité culturelle ou commerciale ; mais aussi comme un récit symbolique qui intègre l’histoire des objets que nous choisissant d’intégrer dans cet espace. Quel que soit le projet, il s’agit toujours de savoir comment raconter une histoire !
- Quelques mots sur ta thèse
Suivant mon intérêt pour la mise en scène et l’exposition, ma thèse a été une véritable opportunité pour mettre à l’épreuve mes questionnements à propos de la manière avec laquelle le design est perçu. J’ai donc choisi d’étudier un cadre évènementiel particulier qui est celui de la Design Week de Milan et de Paris. Comment le design s’expose, qu’est-ce qu’il raconte avec cette mise en scène de lui-même et comment cela est-il perçu du côté du spectateur, du visiteur ? Telles étaient les motivations premières de cette recherche à propos de la spectacularisation du design dans un cadre évènementiel.
Étant effectuée au sein de l’équipe d’accueil MICA (Médiations, Informations, Communication, Arts) de l’Université Bordeaux Montaigne, ma thèse s’inscrit dans la discipline des sciences de l’information et de la communication, et c’est grâce à ma rencontre avec Anne Beyaert-Geslin, qui a dirigé cette thèse que je me suis orientée vers une approche sémiotique. Ceci m’a permis de changer la perspective du designer pour adopter celle de l’instance de réception. J’ai donc adopté une posture anthropologique sur le terrain en analysant l’expérience de l’évènement et en prenant comme point de focalisation la scénographie considérée comme l’interface entre le sujet, l’objet et l’espace. Analyser l’expérience évènementielle implique aussi la prise en compte, en plus des caractéristiques liées à la spatialisation, celles de la temporalité. Avec la sémiotique, en essayant de faire apparaitre « sous les signes, les stratégies », j’ai tenté d’esquisser une matrice organisationnelle fractale de cet évènement, considéré comme un dispositif de spectacularisation du design. A travers la mise en lumière des différentes échelles constituant la Design Week, j’ai voulu me focaliser sur l’impact de l’expérience évènementielle du design sur l’expérience du quotidien.
A l’issue de la thèse, j’ai admis que cette recherche avait aussi pour ambition d’explorer non pas une sémiotique du design mais une sémiotique pour le design, qui permettrait d’intégrer et rendre visible le processus de fabrication du sens en amont du projet et de la recherche en design.
- Quelle vision as-tu de la recherche en design ?
La posture interdisciplinaire de ma thèse, avec toutes les difficultés que ça a pu engendrer notamment dans ma propre légitimation à adopter telle ou telle méthode d’une autre discipline, m’a toujours poussée à avoir une autoréflexivité, interrogeant le regard que porte le design sur les autres disciplines. Il ne s’agit pas seulement d’emprunter des outils méthodologiques mais bien de mettre à l’épreuve ces outils face à un terrain et un mode de pensée différents. Le designer chercheur doit donc avoir l’ambition d’améliorer, de développer et de faire dialoguer les disciplines plus anciennes pour servir une problématique actuelle. Je vois la recherche en design comme un lieu de rencontre, d’hybridation et d’expérimentation inclusif et donc nécessairement interdisciplinaire. Si la discipline est un territoire, la recherche en design aurait pour mission la vitalisation des frontières et le travail sur l’accessibilisation à la connaissance pour un public plus large que celui des communautés scientifiques.
- Quels sont tes projets au sein de Strate Research ?
En intégrant une équipe de recherche au sein d’une école comme Strate école de design, j’ai envie de contribuer à la construction d’une discipline qui aura, je le crois, un impact majeur dans l’évolution des mentalités et des mœurs, non seulement dans le monde de la recherche académique mais aussi plus largement dans la relation avec l’innovation au sein du tissu entrepreneurial qui œuvre pour repenser et reconfigurer le monde de demain. Plus que jamais, nous avons pour mission de rassembler les acteurs de la pensée et du faire pour développer l’intelligence collective. Ne serait-ce pas aussi le rôle d’un designer chercheur que de questionner le design de la recherche ?
Merci Emna pour cette interview et encore bienvenue à Strate école de design !