Mastère Innovation & Design : Unala, diplôme 2018 par Aurore Guillon

Publié le 12 Apr 2019
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Les Troubles du Comportement Alimentaire chez l'adolescent cristallisent très souvent le cadre familial. Pourtant, aider la famille à faire face ensemble à ces maladies contribue à aider le jeune à guérir.

 

Aurore Guillon diplômée du Mastère Innovation & Design nous parle de son projet de diplôme 2018, "Unala", qu'elle a obtenu avec les félicitations du jury : 

"J’ai créé unala, qui propose un accompagnement fondé sur l'art-thérapie textile et l'approche systémique de la famille. La matière devient le nœud des interactions familiales, pour retrouver un foyer soudé et apaisé.

Avant de développer son fonctionnement, je souhaite revenir rapidement sur la définition des Troubles du Comportement Alimentaire, et sur les enseignements que j’ai pu tirer de mes recherches qui m’ont amenée jusqu’à mon projet.

Deux maladies principales sont identifiées dans les Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) :

  • l’anorexie mentale, qui est une perte de poids intentionnelle s’accompagnant d’un refus de s’alimenter, 
  • la boulimie, qui est un enchaînement de prises compulsives de grandes quantités de nourriture, suivies de comportements compensatoires inappropriés (vomissements, prise de laxatifs, etc.).

Après m’être entretenue avec des personnes ayant côtoyé de près ou de loin ces maladies anorexiques, boulimiques, entourage familial et amical, psychologues et diététiciennes – j’ai pu identifier trois principales typologies de problématiques propres aux TCA :

    • Les TCA sont des maladies méconnues, autour desquelles règne un véritable tabou. 
    • La temporalité de guérison est propre à chacun ; elle peut s’installer sur des mois comme des années, devenant souvent source de découragement chez le malade et son entourage.
    • Les TCA sont souvent plus qu’un simple trouble alimentaire, et relèvent du trouble identitaire.

Ces problématiques m’ont amenée à me questionner sur la prise en charge de ces maladies.
S’il en existe une multitude, ce que je retiens surtout est la nécessité, dans tous les cas et dans la mesure du possible, d’éviter de marginaliser l’individu souffrant et de le réduire à sa maladie. Au contraire, il est aussi important de pouvoir considérer son entourage et le suivi thérapeutique comme un tout, plutôt que d’isoler chaque partie prenante.

Le rôle de la famille est particulièrement important, en engageant les parents comme co-thérapeutes et en redonnant aux frères et sœurs leur place au sein de la famille. En effet, les TCA sont un moyen d’expression qui peut vite prendre beaucoup de place et verrouiller une situation familiale. Il est ainsi nécessaire d’offrir le même moyen d’expression à chacun afin de créer ou retrouver un équilibre familial propice à la guérison.

Dans ma phase exploratoire, j’ai donc décidé de m’intéresser d’un peu plus près à ce que l’on appelle la thérapie familiale systémique.

Les thérapeutes de l’association parisienne Systèmes et Familles  m’ont expliqué que la thérapie familiale systémique considère la famille comme un système avec ses règles, ses ressources, et ses compétences pour régler un problème et intégrer tous ensemble le changement. Ainsi, un enfant seul face à son problème n’existe pas, le thérapeute le prend en compte dans et avec son écosystème familial, et à la différence d’une thérapie familiale classique, il ne s’attache pas à analyser le passé mais plutôt à répondre à la question du « comment ? » en s’inscrivant dans le présent. 

La thérapie familiale systémique s’appuie sur le fait que « tout est communication » : face à une situation où la communication verbale ne suffit pas, les thérapeutes font appel à des « objets flottants », qui permettent de communiquer autrement ; ce sont des jeux de rôle, de société, etc. qui permettent de décadrer la situation de résistance et d’atteindre un autre niveau de langage que le niveau sémantique : celui du langage émotionnel.

Ce niveau émotionnel du langage a particulièrement retenu mon attention, et j’ai donc décidé de m’intéresser plus particulièrement à la sollicitation sensorielle par l’art-thérapie textile, notamment en découvrant le travail de Stéphanie Beillouin avec des malades d’Alzheimer. De ses recherches, je retiens cette donnée qui a été l’élément décisif pour mon projet : « 5cm par seconde, c’est la vitesse optimale de la caresse qui fait le mieux réagir les fibres du toucher émotionnel connectées à notre cerveau » . On peut schématiser cette réaction en deux temps : la sollicitation sensorielle provoque des sensations, qui à leur tour engendrent des émotions.

Forte de toutes ces rencontres et de ces recherches, j’ai donc décidé de créer unala, un outil d’art-thérapie textile pour contribuer à la guérison des TCA chez l’adolescent, population principalement touchée par ces maladies. L’outil est un ensemble de carrés de matières plus ou moins douces, de couleur neutre, pouvant tous se nouer les uns avec les autres. 

Il est introduit par le thérapeute lors d’une thérapie familiale systémique. Chacun s’approprie le carré de matière qui lui parle le plus, en fonction du ressenti qu’il lui procure, des émotions qu’il lui associe, pour en faire son vecteur d’expression, avant de parler de son choix face au thérapeute et aux autres membres de la famille, et ce à tour de rôle. 

À la fin de la séance, unala est emporté à la maison par la famille, qui va progressivement construire un patchwork en choisissant individuellement des matières, jour après jour. Le patchwork ainsi réalisé est amené à la prochaine séance de thérapie, et devient le support de communication de la famille. Avant de procéder tous ensemble à sa déconstruction pour préparer un nouvel assemblage, le thérapeute se charge de prendre le patchwork en photo pour en garder une trace et pouvoir revenir sur son évolution au fil des mois.

En offrant à tous le même moyen d’expression, unala permet de mettre chaque membre de la famille sur un pied d’égalité, tout en créant un lien tangible à la fois entre eux et entre les séances de thérapie. La réalisation se voit et se matérialise dans le temps, permettant de conscientiser l’avancement de la famille. La ritualisation de la co-construction du patchwork permet de décadrer le traitement de la maladie, en proposant une pause sensorielle à la famille. L’utilisation d’unala évite ainsi de renforcer le symptôme en ne se concentrant que sur lui, et surtout, permet de ne pas aller frontalement dans ce que la famille vit et de ne pas accentuer le schéma de blocage. 

Pour terminer, vous vous demandez certainement ce que signifie unala ? Je vous répondrai : l’un avec l’autre."